Le Triban RC520 Gravel sur l’Italy Divide, il suffit juste d’un grain de sable – 640 km – 2j 6h

L’origine

Tout démarre par un message de Louise, une amie qui travaille chez B’twin, « Ca t’intéresserais de faire l’Italy Divide ? ». Ayant l’Highland Trail 550 de prévue fin mai, j’ai dû y réfléchir à deux fois avant d’accepter. J’avais prévu de faire quelques jours de bikepacking sur les mêmes dates, autant les faire sur une épreuve en Italie. Comme beaucoup, je savais que Btwin avait un vélo de Gravel en préparation, c’était l’occasion de le tester. De la même manière que pour la Gravel Tro Breizh avec le MR4 de 2-11 Cycles, j’aime bien tester du matériel en conditions. Cela permet de se faire de l’expérience et de bien comprendre les différences entre les matériaux, les géométries et les composants utilisés. C’est enrichissant, déjà pour moi et pour les retours. A chaque fois j’ai de nombreuses questions sur le matériel testé, ça alimente les discussions et permet peut-être de faire des choix de matériel plus adaptés.

Me voilà donc engagé sur la Divide italienne, un périple de 1250 km avec 22 000 de dénivelé positif entre Naples et Torbole.

Préparation matérielle

Quelques semaines plus tard, je récupère le vélo, c’est le Triban RC520 Gravel ltd. Un cadre alu avec fourche carbone, freins semi-hydrauliques. Par rapport à la version de série qui sortira en juillet 2019, il est monté en 2×11 en Shimano 105. Ce dera un groupe vitesses SRAM Apex 1×11 sur la vestion de série. Dans un premier temps je l’ai utilisé en roues de 700, puis avec les roues de 650 en pneus WTB Resolute en 650×42.

Avant le départ nous avions déjà fait un aperçu des détails du montage, des modifications et du matériel emporté ici : https://triban.exposure.co/dans-mes-sacoches-bikepacking

Ce que je n’avais pas précisé et ce qui a intéressé pas mal de riders, c’est le montage électrique. Ne pouvant changer de roue et ayant besoin d’autonomie en lampe comme en énergie, j’ai fait mon montage avec des éléments que je possédais déjà. Comme elle m’avait déjà accompagné sur la French Divide, j’ai remis en service ma dynamo sur jante Velogical. Elle a l’avantage de se monter rapidement sur n’importe quel vélo avec les supports adaptés sans les contraintes d’un montage de roue à dynamo dans le moyeu.

Pour les détails du montage, la dynamo alimente deux réseaux distincts. Un premier qui servira de jour pour alimenter le GPS, le téléphone et éventuellement la batterie de la frontale.

En bas à gauche, la Velogical avec son support, en haut à gauche, le réseau « nuit », sur la droite, le réseau « jour ».

La dynamo est connectée à un convertisseur USB, l’Igaro D1 (plus en production) qui a un condensateur pour réguler le flux. Sur une des sorties USB, je connecte une batterie externe (7800 mAh). La batterie doit être Pass Tough, c’est à dire quelle peut être alimentée et utilisée en même temps, comme une batterie de téléphone. Et idéalement avec deux sorties USB. Le GPS est branché à la batterie. Sur la deuxième sortie USB je connecte le téléphone quand j’ai besoin de le recharger.

Avec cette configuration, sur un parcours roulant, je suis toujours chargé à fond. A titre d’exemple, entre 20 et 25 km/h de moyenne, en 2h je charge 50% d’un Iphone 7 en 2h. Lorsque le parcours devient plus accidenté, la quantité d’énergie fournie n’est plus suffisante pour recharger le téléphone directement. Je passe donc le téléphone sur la batterie externe avec le GPS.

Le second réseau est utilisé de nuit, il y a un interrupteur qui me permet de basculer d’un réseau à l’autre. Malheureusement j’ai cassé ce dernier avant le départ, je faisais donc le changement manuellement. Ici la dynamo alimente les lampes avant et arrière. La Velogical est très efficace en énergie, plus qu’un moyeu à dynamo (j’ai un Son et un Shutter Precision aussi), il y a un thermistor qui évite les surtensions qui crament les lampes dans les descentes. Le thermistor s’allume dans les descentes et vu sa luminosité parfois, heureusement qu’il est là ! Dans cette configuration, le GPS est alimenté par la batterie externe et je prend soin de charger le téléphone avant la nuit. La lampe avant est une Busch & Muller IQ-X de 100 lux et l’arrière une Supernova pour tube de selle. La lampe avant est une des plus puissantes sur dynamo que j’ai pu voir, elles est bien suffisante sur route et chemins. J’ai aussi ma Frontale Stoots de 1000 lumens sur le casque que j’utilise dans les passages techniques, dans les poussages et au bivouac. Je l’utilise rarement à 1000 lumens mais entre 50 et 400 ce qui me laisse entre 120 et 10h d’autonomie. Et si elle est déchargée, je la recharge sur la batterie externe.

J’en entend déjà qui disent que les dynamos sont inutiles, lourdes et pas efficaces. Mais avec ce montage j’ai été autonome pendant 11 jours sur la French Divide et 3 jours ici. Sans batterie externe, ni téléphone, ni GPS, l’ensemble des deux réseaux fait 380 grammes avec le commutateur et 350 grammes sans, lampes et câblage compris. Cela me donne une autonomie très importante, je n’ai pas encore été à court d’énergie. Au niveau de la perte d’énergie par friction, c’est négligeable et on peut la débrayer dans les montées. Après un passage dans la boue ou si c’est un peu humide, je nettoie la jante, sinon elle peut riper un peu. Par contre quand il pleut où que c’est très humide je n’ai pas eu de problème, c’est vraiment quand c’est juste un peu humide. Il est vrai que la Velogical fait juste un petit bruit qui se fait plus entendre lorsqu’elle est sur le hauban et moins sur la base. Mais je l’oublie vite, avec le vent ou dans les chemins, c’est imperceptible. Et sur route c’est rien comparer aux bruits de certains pneus crantés et je parle pas du concours de bruit de certaines roue-libres, mais ça c’est personnel.

Arrivée à Naples

Parti de Lille le 23 avril, c’est la première fois que je prend l’avion avec un vélo. Je choisis d’utiliser un bike-bag souple que je renforce avec des morceaux de carton.

L’avantage c’est qu’une fois arrivé, le sac se range dans sa housse qui sert de sac à dos, je suis donc reparti de l’aéroport à vélo… Facile ! Sauf que la circulation napolitaine est… comment dire… Il faut être vigilant quoi, en 8 km j’ai joué plus de fois ma vie qu’en 5 ans à Lille.

La minute napolitaine

Une fois arrivé entier sur le front de mer, le Vésuve se laisse timidement apercevoir dans la brume et il fait déjà chaud, très chaud. Le temps de profiter de la vue avec un panino, je vais ensuite rejoindre mon bed and breakfast dans le quartier espagnol. Je suis bien à l’adresse, mais c’est un carrefour et il n’y a rien. Je regarde sur Google maps qui m’amène à 200 m de là mais toujours rien, je regarde sur une autre carte qui me fait retourner à mon point de départ….

Je parcoure les rues orthogonales bordées de bâtiments de 5 étages avec les balcons débordants de linges pendus à la recherche d’un indice, mais il n’y a aucune indication sur les bâtiments. 45 min plus tard, après avoir interrogé quelques personnes, un vieux monsieur m’indique l’endroit. Un palazzo avec une porte massive avec que des noms sur les sonnettes. Je récupère le numéro et appelle. Mon interlocuteur ne parle pas anglais, le dialogue est impossible. Il me demande de patienter et raccroche. La porte s’ouvre, je suis au bon endroit et il m’invite à rentrer dans le palazzo. Une cour intérieure fraîche m’accueille, tout autour s’articule des bâtiments d’époques différentes avec des superpositions anarchiques.

L’hôte m’accueille, un homme trapu, le crâne rasé, petite moustache, l’œil perçant, des bagues en or à chaque doigt, si je voulais du typique, j’en avais. Je lui explique qu’un ami a réservé pour moi, il nous regarde méfiant, mon vélo et moi. Nous prenons tout trois l’ascenseur jusqu’au troisième étage, l’ambiance est tendue. La grisaille de la cour tranche avec le marbre blanc et rouge du couloir et les boiseries au mur, l’endroit est propre, presque luxueux. Une première porte avec une lourde serrure découle sur un escalier étroit, il regarde le vélo et m’avise de faire attention en montant. En haut il m’invite dans la chambre, c’est propre et simple, il m’impose de laisser le vélo dans un coin en protégeant tout ce qui est en contact avec lui. Il me fait la visite sans perdre sa méfiance. Le logement devait être payé mais il me demande de lui régler, furtivement j’imagine lui expliquer que c’est déjà fait, je m’en abstiendrai. Je sors la somme en cash et son attitude se métamorphose, il devient souriant et me pose des questions sur mon voyage. Il devait se méfier de moi autant que je le méfiais de lui, les apparences sont parfois trompeuses. Il a été adorable pendant tout le reste de mon séjour. J’apprendrais plus tard que Giacomo, qui a fait la réservation, s’était trompé et elle n’était pas payée…

Le reste du séjour se passera entre visites et repos jusque la veille du départ.

Avant course

Un repas est prévu la veille du départ dans une pizzeria. Je croise quelques concurrents, nous échangeons quelques mots et avançons vers la terrasse. J’aperçois les « Diamant », Karine et Stéphane qui étaient sur la French Divide. Nous retrouvons quelques autres participants de la traversée française croisé cet été, Stu et Emiel. C’est le temps des échanges et des discussions sans fin sur les choix de matériel… Le repas ne s’éternise pas et nous nous quittons pour cette dernière nuit avant le départ.

Le lendemain, le départ est à 14h, la matinée est destinée à la récupération de nos packs concurrents et au dépôt des sacs que nous retrouverons à l’arrivée. Le dépôt est un joyeux bordel, je retrouve Fabian, le belge et les français. Karine se rend compte quelle n’a pas les bons fichiers GPX, début de panique à 2h du départ. Elle les récupérera in extremis avec l’ordinateur de l’organisation à 13h.

Nous profitons du temps restant dans une pizzeria, la chaleur monte. Fabian qui n’a pas de piles dans son tracker, part en chercher. Il revient quelques instants plus tard la mine déconfite en nous apprenant qu’il s’est fait voler son portefeuille. Nous lui donnons du cash pour qu’il puisse prendre le départ et attendant une solution. J’ai beaucoup de peine pour lui et m’imagine à sa place l’abattement que cela doit avoir.

Premier jour – 210 km en 9h23 – Naples – Priverno

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L’heure fatidique approche et la pression monte. Après quelques mots de Giacomo, le départ est donné sur une digue bondée par 28 degrés. Les 200 rideuses et riders s’élancent avec un rythme imposé dans les rues de Naples. Giacomo nous quitte plus loin et le rythme s’intensifie. La première partie très urbaine est sans intérêt, la partie suivante sur des grands axes ne le sera pas plus. Des petits pelotons se font et se défont, aux rythmes des jambes et des erreurs d’itinéraires de chacun.

Quelques pistes dans la plaine cassent la monotonie du parcours. Au premier obstacle, je refais le plein d’eau, j’ai vidé 2 litres en 4h. Nous redescendons ensuite vers la côte avec quelques stations balnéaires à l’heure des bouchons. Avec la fin d’après-midi, il y a plus de piste. À 20h je profite d’une épicerie pour manger, prévoir pour le lendemain matin et allumer les lampes. Avec la nuit vient les passages techniques. Quelques portions caillouteuses en montée et à pied et une portion de la Via Appia. Celle-ci est une voie antique qui relie Naples à Rome. Le problème c’est quelle n’a pas été refaite depuis sa construction, sur cette portion en tout cas.

La suite de la nuit se passera entre des pistes dans la plaine et une portion que je dirais WTF. Le chemin s’oriente vers une colline avec un chemin de portage sur 2 km où il était impossible de rouler. Je suis avec quatre italiens, puis trois, puis deux, avant ce passage nous nous regardions de travers, après, nous discutons et faisons connaissance. Partager une difficulté rapproche les individus.

Un peu plus loin dans un village, je vois quelques concurrents arrêtés dont un que je connais mais je ne sais pas de où. Je me rend compte que c’est le maire de Mendionde. Comme la French Divide se termine dans son village, il s’est mis au bikepacking, super initiative.

La trace se poursuit ensuite sur quelques pistes, l’heure avance. J’aurais bien poussé plus loin après une pause, mais je ne veux pas m’entamer dès le premier jour, le but est de finir en forme. Je prévois donc de m’arrêter vers minuit. Il est 23h, je vois sur le roadbook qu’il y a le village de Priverno pas loin, ce sera mon point de chute. Lucien (le maire de Mendionde) et Christian, un allemand taciturne font de même. Nous nous arrêtons après une dernière montée dans cette première journée. La place du village est parfaite, un petit coin d’ombre sous les arbres, une fontaine. Après avoir refait le plein, je jette un oeil aux messages et commentaires, c’est bien de finir la journée sur une touche positive. Le bivy est installé et la nuit va commencer, réveil programmé à 4h30.

La nuit sera agitée, pas mal de riders nous passent dans la nuit, des chiens au loin, quelques voitures, J’ai pas encore pris le rythme des journées et des nuits mais ça va vite venir, la première est la plus dure, après cela devient une habitude.

Jour 2 – 224 km – 14h45 – Priverno – Vitorbe

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J’entend un réveil, le protocole de lever est en marche, bizarrement c’est automatique et simple, en temps normal j’aime bien traîner le matin. Pliage du matériel, check-up physique, tout est bon, juste mon pneu arrière qui s’est dégonflé dans la nuit. Du jus de fruit, des biscuits, des figues et fruits secs feront guise de petit-déjeuner. Je pars premier, Lucien me dit qu’on se reverra pas, qui sait ? J’avance au radar, la première heure défile comme à chaque fois.

Ensuite j’arrive dans le Latium et ses collines. Les ascensions démarrent. Dans une portion technique de chemins de randonnée, je croisent quelques riders échoués au milieu de nulle part au coeur de la nuit. Certains ont voulu pousser un peu plus mais ils le regrettent déjà. Je remet un peu d’air dans le pneu arrière, m’inquiète un peu de cette crevaison lente mais elle s’arrêtera après ce passage.

A l’abord d’une route qui obliquera vers un chemin en lacet je rattrape Stu, un anglais qui était sur la French Divide, il a une bonne humeur communicative. Nous partageons la montée à pied et un café au village surplombant de Norma. Il est en VTT, je le distancerai ensuite sur les portions de route.

Les villages perchés s’enchaînent, cela sera une constante. La trace emprunte une grande partie de la Via Francigena, peu importe le type de revêtement de celle-ci, ce n’est pas toujours intéressant.

Je pousse sur les pédales en me focalisant sur l’étape suivante, la région des lacs volcaniques au sud de Rome. Je m’approche du Lac de Nemi mais n’en vois qu’un petit morceau. Des petits single à flanc me font redoubler de vigilance, dans la technique et la navigation, il faut éviter les petites erreurs, l’accumulation de ces dernières nuit au bon déroulement de l’épreuve.

Je m’approche du lac d’Albano, le chemin en corniche surplombe un flanc raide qui file droit dans le lac. A la sortie du chemin la ville de Castel Gandolfo donne enfin un aperçu sur le lac.

A la sortie de la ville Giacomo est là, il m’indique qu’il reste une dizaine de km de Via Appia avant Rome. Cette portion sera très intéressante d’un point de vue patrimoniale, pour le reste, c’est une route au pavage hétérogène de 12 km avec un flot grandissant de touristes à l’approche de Rome.

L’arrivée à Rome est l’occasion de manger un morceau. Une demi pizza vite avalée, le temps se rafraîchit, je mets une couche en plus.

A la sortie de Rome, il pleut clairement, je mets la veste de pluie. Après une bonne portion de piste cyclable, le paysage change peu à peu, les collines sont un peu plus basses mais elles s’enchaînent, la toscane approche. Au détour d’un chemin, j’aperçois deux riders sous un abri, allongés sur des tables. Ils s’abritent de la pluie et en profitent pour récupérer un peu, ils ont poussé durant la nuit et le payent maintenant. J’en profite pour me poser 10 min au plus fort de l’averse. J’ai une petite gêne à la fesse, j’en profite pour mettre de la crème.

Christian avec qui nous étions sur le bivouac passe et je décide de le suivre. Le tracé devient plus agréable avec pas mal de strade bianche, rosso et nero. La pluie a un peu humidifié les chemins mais sans trop les détremper. Je profite du passage à Campagnano di Roma pour acheter à manger pour le soir et le matin. La fin d’après-midi se fera avec une succession de pistes et de villages. Alors qu’il restait 8 km pour arriver à Capranica, là où je souhaitais m’arrêter manger, la trace bifurque dans un bois et aborde un single. Avec la pluie de la journée, le chemin est complètement boueux et des arbres barrent le passage à plusieurs reprises. La progression se fera essentiellement à pied. Le jour diminue et avec l’humidité le froid commence à mordre.

Le poussage est interminable surtout avec la faim qui tiraille. Une fois sorti de ce chemin, l’ascension du village de Capranica sera le dernier effort avant de manger. Je me pose sur un banc et Christian me rejoint, il fait froid et humide et je mets tous les habits que j’ai sur moi. Nous décidons d’avancer jusqu’à Viterbo à une vingtaine de kilomètres pour trouver un spot de bivouac.

Le trajet se fait facilement, les quelques montées permettent de se réchauffer un peu. A l’approche de la ville, les routes sont encaissées entre des falaises d’une dizaine de mètres, de jour cela doit être pas mal à voir, mais de nuit nous y prêtons à peine attention.

La ville est sur une colline, comme beaucoup d’autres, il y a un concert en ville nous nous en écartons d’une centaine de mètres. Sur notre droite se présente une terrasse privée en haut d’un escalier. Une fois passée la chaîne, l’espace fait une centaine de mètres carrés entouré sur trois côtés par des bâtiments, ce sera parfait pour cette nuit. Nous investissons un coin, nettoyons les quelques bouts de verres et la routine du soir démarre. Manger, déplier le couchage, check-up physique… La gêne ressentie dans la journée ne s’est pas améliorée. J’ai une importante irritation au niveau de l’aine et des fesses. Je désinfecte dans l’aine et je met de la crème au niveau des fesses. Je ferme le bivy, les bruits du concert parviennent jusque nous, je me demande si cela ne va pas m’empêcher de dormir, quelques secondes plus tard je sombre dans un sommeil profond.

Jour 3 – 172 km – 12h – Vitorbe – Sienne

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Réveillé un peu avant que le réveil de Christian sonne, j’ai dormi d’un trait. Repliage, un peu de de fromage, du jus de fruit, des figues, je remets un peu de crème et je sens comme une petite protubérance sur ma fesse droite. J’ai comme une barre de 4 cm par 1 cm sur 5 mm d’épaisseur. Cela ne me dit rien de bon. Je laisse Christian partir et je prend le temps de m’occuper de ça. Je désinfecte et j’utilise ma seule compresse imbibée de désinfectant comme pansement. Cela arrive à vélo d’avoir des petites infections qu’il faut traiter rapidement pour éviter que cela ne dégénère. Mais là je n’avais pas senti de furoncle la veille. Dès que je croise une pharmacie, j’achèterai ce qu’il faut. Je pars quelques minutes après mon camarade.

A la sortie de la ville, le brouillard est bien installé et de plus en plus dense. Heureusement que nous nous sommes arrêtés en ville, l’endroit était sec, plus chaud et abrité. La trace monte vers Montefiascone, enfin c’est ce que me dit le roadbook car je n’y vois rien. J’évite de m’asseoir sur la fesse droite cela me donne l’impression de m’asseoir sur des aiguilles. C’est un signe d’infection, je préfère ne pas y penser, j’adapte ma position en alternant sur la fesse gauche et en danseuse.

A la fin d’une montée je sors de la nappe de brouillard et la ville de Montefiascone se laisse apercevoir. Le soleil est là mais il ne chauffe pas encore.

Après la ville, la trace emprunte le tour du lac de Bolsena, une grande partie est à l’ombre et les températures ont du mal à monter. Sur route je n’ai pas de mal pour pédaler, mais sur les chemins c’est plus compliqué et je me retrouve souvent en danseuse.

Après le lac, la route monte peu à peu jusque Radicofani, un village perché à 800 m d’altitude. Le paysage change et fait place à de grandes praires vallonnées entrecoupées de torrents avec des collines de plus en plus hautes. Nous traversons cette partie sur de belles pistes, malgré la position inconfortable cette portion sera très plaisante à rouler. C’est une des plus belles que j’ai pu voir sur mon Italy Divide.

Dans la dernière montée vers Radicofani, je croise une photographe qui m’arrête (j’étais en train de pousser) pour me prendre en photo. Elle est avec son vélo sur le bord de la route, un très beau vélo de bikepacking avec une sacoche Rusjan. Elle est souriante et agréable, elle me demande mon nom et prend un cliché, nous échangeons quelques mots, des choses simples mais qui remotivent. J’apprendrais plus tard que c’est Lucy Rusjan qui fabrique les sacoches du même nom, Sophie et Alfredo Betancourt en avaient déjà parlé, sa réputation est bien vraie.

La montée vers le village se fait par pallier. Depuis le matin je dois m’arrêter régulièrement pour m’étirer le dos car la danseuse me tire sur les lombaires. Arrivé au village, j’en profiterai pour manger un peu et me détendre hors du vélo. Je trouve une épicerie tenue par un couple âgé très sympathique derrière une vitrine alléchante. Nous échangeons quelques mots dans un patchwork de langage, il me fait goûter plusieurs spécialités. J’en sortirai avec un panino proscuitto/pecorino de rêve pour un prix dérisoire, j’adore l’Italie !

La redescente du sommet se fera au départ par un chemin VTT puis par la route. La température est idéale, les paysages ne manquent pas de charme.

A partir de là, l’après-midi sera un enchaînement de bosses sur petites routes et pistes le long de la Via Francigena entre le fond de la vallée de l’Orcia et les différents villages perchés. Nous verrons Campiglia d’Orcia, Bagni San Filipo, Castiglione d’Orcia et San Quirico un peu plus bas.

Cette dernière est une ville patrimoniale, j’y arrive vers 16h et je décide de faire une pause. Avant le changement de position, le compense un peu et je sens les tendinites pointer à la cheville et au genou, c’est gérable, les lombaires s’en sortent bien avec les étirements réguliers, la fesse gauche devient douloureuse. Ce sont des petits détails qui ne m’empêchent pas de rouler, mais bout à bout, ça me ralentit surtout et à plus long terme je vais m’entamer. Il faut trouver une solution, je regarde la suite du parcours, peu d’agglomération avant Sienne à 80 km de là, j’y serais dans la soirée. Il y a une pharmacie dans le village, je vais y faire un tour. Je vais aux toilettes dans un bar, une vraie salle de bains, le luxe ! Je fais une toilette rapide et je jette un oeil à ma fesse. L’irritation a bien tourné à l’infection, un abcès longiligne apparaît au pli de la fesse. J’ai en tête la mésaventure d’un rider de la French Divide qui n’avait pas pu s’asseoir pendant trois semaines. C’est décidé, je m’arrête là pour aujourd’hui, 130 km de fait, je suis dépité.

Je recherche un hôtel pour prendre une douche et faire des soins propres. Je visite et j’appelle une dizaine d’hôtels et de bed & breakfast dans le village, ce sont les vacances, tout est complet. Trouver une solution. La région aux alentours est vide d’hôtel. Il y en a pas mal à Sienne à 40 km par la route. Je décide d’y aller.

Mes soeurs infirmières me conseillent à distance, si ça continue il faudrait inciser pour vider l’abcès et peut-être mettre des mêches. Je sais ce que cela veut dire, si je continue cela ne va pas s’améliorer, j’ai l’Highland Trail dans 3 semaines, mon objectif de l’année. Je décide d’en rester là avec cette traversée italienne. C’est difficile à assumer, j’étais bien physiquement, je gérais bien, comme d’habitude plus j’avançais et mieux je me sentais, sans forcément rouler plus vite mais en étant régulier et efficace. Je sentais que j’étais en train de remonter les participants. Un détail presque insignifiant vient contrecarrer mes plans, un grain de sable dans un rouage bien huilé. Je peux encore avancer, j’en ai l’envie, mais ce serait empirer les choses…

Je m’en veux pour tout ceux qui m’ont suivi, et je ne veux pas les décevoir, ma Pouflette, les amis, les supporters, pour l’équipe de Triban et Louise grâce à qui j’ai pu participer à l’aventure. Il faut l’accepter. Je partage ma mésaventure sur les réseaux sociaux et je reçois énormément de messages de soutien, mes fesses intéressent du monde, ça me réchauffe le coeur. J’en retiens surtout que je n’ai rien à prouver, c’était un objectif personnel, je met l’orgueil de côté.

Épilogue

Pratiquant les aventures en autonomie depuis deux ans, la préparation a pour but d’anticiper chaque problème, c’est la première fois que j’ai un problème comme celui-là. J’en retiendrai qu’on a beau vouloir tout contrôler, il faut sans arrêt s’améliorer, tester, échouer, se remettre en cause et tirer les bonnes leçons. L’échec fait partie de l’enseignement et la progression est inhérente de la remise en cause. Évaluer, s’adapter et se remettre en selle.

L’origine du problème vient du cuissard, je suis habitué à ma selle, j’ai déjà fait 24h dessus, souvent je dois mettre de la crème les deux premiers jours. Mais là, mon ischion reposait juste sur le bord de la peau, d’où l’irritation longiligne. Je n’avais pas fait attention en testant le cuissard, c’est ma faute, je serais plus vigilant la prochaine fois.

Après cette mésaventure, une nouvelle aventure a démarré avec la remontée jusqu’à l’arrivée pour récupérer mes sacs. Ensuite, tirer jusque Turin pour déposer le vélo qui sera sur le départ de la Tuscany Trail. Et enfin, retour en France. Un périple de 3 jours et 11 trains qui m’ont permis de récupérer et de revenir gonfler à bloc pour la prochaine épreuve.

Aujourd’hui les choses sont en bonnes voie pour ma fesse. J’ai suivi avec attention l’Italy Divide avec les amis et le groupe de tête. Je tiens d’ailleurs à féliciter Sofiane Sehili et James Hayden qui, en lice pour arriver premier se sont rejoints sur la dernière difficulté et ont décidé de terminer ensemble. Un beau geste sportif qui continu de me laisser penser que ces épreuves bikepacking ne sont pas des courses, il faut éviter certaines dérives que j’ai pu voir ici ou ailleurs. Ce sont avant tout des aventures personnelles avec d’intenses rencontres humaines qui sont porteuses de belles valeurs, les orgueilleux n’ont rien à y faire. Chacun peut et doit être fier de ce qu’il a fait avec ses moyens et ses capacités, il faut faire les choix qui nous correspondent et les assumer. Frustré de ne pas avoir vu cette partie finale, je ne reviendrais pas sur l’Italy Divide, je préfère en rester là.

GRAZIE à tous les dotwatchers et à vos mots. Maintenant, je vais passer de l’autre coté de l’écran, la Gravel Tro Breizh arrive bientôt, bon courage à tous les participants, aux amis et surtout à Capucine aka Pouflette !

2 commentaires sur “Le Triban RC520 Gravel sur l’Italy Divide, il suffit juste d’un grain de sable – 640 km – 2j 6h

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  1. Superbe récit ! Bien écrit, on s’y croirait 🙂 ça m’a rappelé la Tuscany et t’es passé par quelques coins comme Radicofani !Elle donne envie cette Italy Divide !

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