J’étais toujours posé devant le Dernier CP à Malestroit me demandant si je pouvais boucler la GTB cette nuit. Il était 19h, le temps était doux bien qu’un peu gris mais pas menaçant, nous avions déjà fait 170 km en 10h15 sur le vélo et 13h15 en tout, il en reste 120…
Je recherche un peu de réconfort auprès de mon road-book il me dit qu’il y a des passages techniques en forêt, de nuit avec la fatigue cela ne me ravit pas. Nous sommes dans la quatrième journée qui se termine à 8h le lendemain soit dans 13h, au rythme ou nous avons été c’est jouable, mais toujours le même problème, la nuit, la fatigue… J’annonce sur Facebook que nous allons entamer de finir ou au moins d’avancer de nuit, ça m’engage un peu et peut-être que cela me décidera.
Dans tous les cas faut refaire le plein d’énergie, Luc nous propose une galette (une krampouezh comme dit notre breton). Nous n’avons pas encore fait de crêperie, c’est un comble. Nous nous installons, Clément, Alain, Philippe, Luc et moi-même l’ambiance est bon enfant, nous décompressons de cette déjà longue journée, les galettes et les crêpes défilent, le temps se suspend un moment, c’est plaisant. Nous sommes mercredi soir et je me rend compte que je n’ai pas passé plus d’une heure à ne rien faire depuis le dimanche matin.
Photo : Alain Tabutaud
Avant de sortir de table et de me décider à prendre une décision, nous apprenons que Paul (la machine) Galea a eu quelques problèmes techniques mais il est arrivé à 20h45. Mon âme de compétiteur sort de sa torpeur, il faut que j’arrive avant 8h, je serais à moins de 12h de Paul et à moins de 4 jours complet.
En sortant du restaurant nous nous consultons, Luc et Clément sont motivés, mais Luc et Philippe préfèrent avancer un peu bivouaquer et finir le lendemain matin. Rien que l’idée de bivouaquer ne me plait pas, trouver un site, ressortir les affaires, j’ai les pieds trempés depuis 2 jours et je n’ai pas envie de faire durée ne serait-ce que cette sensation. C’est décidé, je vais finir avant 8h.
Le plan de bataille, 30 km de voie verte, c’est déjà ça de gagné, une bosse en forêt de 5km, la forêt de Paimpont sur 20 km avec son fameux singletrack en devers, une petite ville, un passage technique d’une vingtaine de km et enfin les 50km jusque Rennes dont les 20 dernier de voie verte. Fred a appris que nous partons sur cette portion de nuit et nous préviens qu’il y a deux gros passages de Gravel+, nous commençons à connaître ses tracés et nous aurons tout le temps d’y repenser…
Nous partons à 21h avec comme objectif de faire une bonne pause à peu près tous les 20km après la voie verte. Nous avons de l’énergie donc nous partons à bon rythme, encore plus pour Clément que je suis à distance grâce à sa lampe arrière et encore encore plus pour Alain qui est parti comme une flèche et que nous ne voyons plus.
A la fin de la voie verte nous entamons la première bosse en forêt, je prend les devants sur les chemins, mais cela reste facile. Arrivés dans le fameux village de Tréhorenteuc, célèbre pour la légende de Brocéliande, on peut dire que le village nous joue un tour, nous faisons une première pose sur un site idéal pour bivouaquer, un abri, des sanitaires… Clément se laisse un peu tenter, nous le remotivons, d’autant que la portion qui arrive est (à ce qu’on croyait) la plus technique. Il y a 20km de forêt à passer, le GPS de Clément indique 6km de montée et 14km de descente, mes acolytes évaluent entre 1h et 1h30 pour passer la forêt, il devait être 23h quand nous sommes repartis.
Après une montée qui surplombe le Val Sans Retour, nous montons tranquillement, passons un village et entamons le fameux chemin qui se transformera en single, toujours assez à l’aise de nuit, j’ouvre la marche. Le chemin est agréable, il slalome entre les arbres, le profil est descendant, il y a un petit ruisseau sur la gauche, des panneaux réguliers nous indiquent que nous longeons une zone militaire. Ceux qui sont passés de jour ont entendu des coups de canons intermittents, heureusement qu’il n’y en a pas eu de nuit ! Nous continuons, parfois des arbres sont en travers du chemin, nous descendons de vélo, passons, remontons. Ah, un passage rocheux, nous descendons de vélo, passons, remontons. Tiens un nouvel arbre, nous descendons de vélo, passons, remontons. Maintenant c’est un fossé, nous descendons de vélo, passons, remontons. Le chemin reste agréable, mais les obstacles sont réguliers et commencent à entamer nos forces. J’entend pester derrière moi, ça va je ne suis pas seul qui commence à être irritable. Je n’ose pas regarder ni l’heure, ni le compteur, j’ai l’impression d’avoir déclipsé une centaine de fois et d’être à moins de 10km/h de moyenne. Les heures me semblent défiler et le jour se lèverait que cela ne m’étonnerait même pas. La monotonie de la technicité est un peu cassée lorsque nous croisons une route, et nous retournons sur le chemin technique… J’ai l’impression que derrière moi les écarts se creusent, je fais des pauses régulières pour faire recoller le groupe. Mais nous avançons, toujours lentement, sans prendre de risque dans les conditions dans lesquelles nous sommes. A un moment inespéré nous rattrapons une route qui nous mènera péniblement jusque Plélan-le-Grand, la ville est totalement vide et plongée dans le noir. Il est 1h30, nous avons mis 2h30 pour les derniers 20km, il en reste 68, trop peu pour s’arrêter là, mais trop pour que le but soit appréhendable.
Un coin d’herbe au bord de l’église nous accueille, nous nous imposons une sieste jusque 2h et nous repartirons. Toujours avec mon casque, je somnole en frissonnant légèrement, mon esprit divague avec des visions assez psychédéliques. A 1h50, je suis réveillé par la pluie, ne voulant pas me refroidir, je me lève pour me remettre en route. Clément a un coup de moins bien et ne veut pas repartir, c’est compréhensible, mais il est courageux et avec quelques mots il se remotive, mais pas pour longtemps.
A la sortie de la ville une détonation nous surprend, Clément, dépité, nous apprend que c’est son pneu. Le flanc est déchiré sur 7 cm, la chambre a air est totalement explosée. Sans me poser de question je lui donne du fil et une aiguille et du duck tape que j’ai pour ce cas de figure, nous lui disons d’aller se poser à l’abri, il pleut toujours, et de voir ça de jour à tête reposée. Toujours dépité et en rage il fait demi-tour. Nous le laissons à contre-coeur, en 4 jours à rouler ensemble on crée des liens, il s’est bien préparé, s’est fait violence tous les matins pour se lever, ce qui je pense est le plus dur pour lui, il a été courageux tout le long sans faiblir et au final il était toujours devant moi et c’est ce qui ressemble plus a un défaut de fabrication qu’autre chose qui va lui empêcher de finir avec nous. Je me dis qu’il est aussi très débrouillard et qu’il arrivera avec juste quelques heures de plus mais il y arrivera.
Nous avançons donc avec Alain sur les chemins. La frontale nous laisse voir que l’essentiel en créant un tunnel de visibilité. Nous devons être dans la campagne, au détour d’un virage dans une montée nous tombons nez à nez avec une vache, nous passons une clôture éléctrique, en me prenant quelques décharges revigorantes et continuons. Le chemin descend dans une vallée et se transforme en espèce de parcours techniques. Maintenant que j’y pense Fred nous avait parlé de deux passages techniques, voici le deuxième. La trace zigzague autour du chemin que nous suivons, celui-ci ressemble plus à une trace faite par un club local pour la sortie du dimanche. Nous aurons dans le désordre une traversée de rivière, de la caillasse, des marches en montée et en descente jusque 1 m de haut. Au détour d’une marche en descente Alain ira tâter la température de la rivière à son insu. Avec la nuit et la fatigue j’ai l’impression de tourner en rond. Je peste, même Alain qui est toujours calme et posé commence à s’énerver et à pester à son tour. C’est peut-être intéressant pour une sortie VTT du dimanche, mais pas en gravel, chargé, après 1000 km et de nuit !
Au moment où nous n’y croyons plus nous sortons de cette portion dantesque et entamons la remontée vers Monterfil. Il doit être 4h, la pause est bienvenue, nous reprenons des forces avec ce qu’il nous reste dans les sacoches. Il reste 50 km…
A partir de là chemin devient plus roulant, le vent s’est un peu levé mais il est favorable, nous enroulons… Nous enchainons les chemins-route-chemins, le halo lumineux de Rennes commence à se deviner sur notre gauche. Mais les chemins s’enchaînent encore, c’est roulant et c’est peut-être le problème, au moins les chemins techniques nous occupent l’esprit, là nous avons que les kilomètres ou les minutes à compter et le temps s’étire. Le froid commence à arriver, je ne sais pas si c’est vraiment la fraicheur du matin ou la fatigue mais même en essayant de rouler plus vite, j’ai toujours froid… J’attend la voie verte qui nous mènera à Rennes, j’ai l’impression qu’elle arrive au virage d’après, puis au suivant, puis au suivant…. Les kilomètres s’étirent toujours. Le canal arrive enfin mais le coup de barre aussi, il reste 20km, je n’arrête pas de bailler, j’en suis à ce moment où le corps exige de dormir, mais je ne peux pas m’arrêter là, je ne veux même pas faire de sieste. Nous grignotons et nous engageons sur la voie verte, le vent est de face, il est glacial, je ne sens plus ni mes orteils, ni mes doigts. Nous avançons, ses longues lignes droites le long du canal sont interminables. Je ne sais pas si ce sont des hallucinations mais j’ai l’impression d’avoir croisé deux loutres sur la voie verte… Je pousse toujours sur les pédales, Alain est devant, j’ai de plus en plus de mal à rester à son contact. Mais la ville arrive, enfin ! Il reste 8 km à traverser pour atteindre l’arrivée, nous suivons encore le canal un moment, l’épuisement me gagne, je suis presque tout le temps en danseuse pour ne pas sombrer sur le vélo. La trace sort la voie verte et des boulevard nous attendent, je ferais presque tous en danseuse, mais c’est interminable… Un rond-point, une ligne droite, à droite nous arrivons au parc des Gayeulles, ce sont les derniers coups de pédale, j’ai du mal a en profiter tellement la fatigue m’emplie. Nous arrivons ensemble, passons l’entrée du camping, arrivons devant l’accueil, à cette heure-ci, il y a logiquement personne pour nous accueillir, le selfie d’arrivée sera largement suffisant, il est envoyé directement à Fred.
Il y a 94h et 28 minutes nous étions au même endroit, et entre deux…
Juste bravo… et merci de nous avoir fait un peu vivre ton aventure…
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Super Rémi, ça complète bien mon récit, et ça m’a permit de me souvenir des moments dont je ne me rappelais pas ! J’ai l’impression d’avoir un peu mieux vécu l’arrivé sur Rennes.
à bientôt !
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Merci Jean-Yves 🙂
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Salut Rémi,
Je lis en long et en large ton blog, c’est une mine d’information et très bien écrit. Merci !
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Salut, Merci pour ton message, ça fait toujours plaisir !
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