D’après l’European Divide Trail – Une traversée de l’Europe du Nord en singlespeed

Ayant passé 5 années sur des épreuves enchaînant plusieurs épreuves par saison, j’ai choisi pour l’été 2022 de me poser un peu pour prendre du recul et rouler pour moi. J’ai toujours apprécié ces départs en masse, partager un bout de chemin, un temps de pause ou de bivouac avec des camarades de vélo. Ça rapproche de partager des émotions, les galères, même vécues séparément mais sur la même épreuve, tel poussage sans fin, tel aléa sur le parcours, on en rigole et c’est rassurant aussi de se savoir entouré par d’autres. J’y ai vécu des émotions diverses et variées depuis la French Divide de 2017 jusque la Desertus Bikus en avril 2022. Mais depuis, l’envie n’y est plus, je ne retrouve plus trop l’aspect confidentiel que j’appréciais au début. Je ne critique pas les organisations, les organisateurs ou les participants, mais je ne m’y retrouve plus. Donc je trace ma route solo, c’est bien aussi. J’avais aimé mes premières vacances en bikepacking en 2013, j’avais adoré la GTMC en 2019, ainsi que le TMV, la Stevenson, la Green Divide, la 727 de cette année… Je laisse donc les épreuves à celles et ceux qui veulent les faire, j’y reviendrai peut-être, en sélectionnant il y a des bonnes choses. Pour le moment, je veux rouler hors grille.

Pourquoi l’European Divide Trail (EDT) ?

Ceci étant dit, je voulais donc me lancer solo sur une longue distance, pas 1000, pas 2000, mais plus… La Great Divide étant trop loin et un trop gros investissement, l’European Divide s’est présentée à moi, le timing était parfait. La totalité de la trace étant un peu lourde à digérer en une fois pour moi, je me suis dit que je me fixais un mois pour avancer dessus. Pour différentes raisons, je n’ai jamais fait de grands ou longs voyages, ni très loin, ni très longtemps. C’était une première pour moi de partir de la sorte. Et cet itinéraire je comptais l’aborder comme une ligne directrice sans la suivre au centimètre, j’aime improviser et m’adapter en suivant mes envies.

De la Norvège à Lille

J’ai découpé le récit de cette traversée par pays, en regroupant les derniers.

La Norvège

La Finlande

La Suède

Le Danemark

L’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France.

Face à soi-même, avec les autres…

Oui je suis parti seul, certains peuvent trouver ça étonnant, d’autres trouvent ça évident, je ne sais pas encore dire si je préfère ou pas. Je passe l’aspect sécuritaire qui entre dans une autre réflexion, je partage juste mon expérience et mes réflexions sur le sujet. Être seul est à la fois une liberté et une souffrance. Une liberté de faire ce que l’on veut quand on veut et comment on veut, mais aussi de ne pas faire, de changer d’avis aux grès des envies et des aléas. Et c’est aussi une souffrance parce que quand on est seul, et bien on est seul. Partager c’est important. Je croise et j’échange avec du monde sur la route, le vélo aide au dialogue, où on va, d’où on vient comment ça se passe. Surtout avec les cyclistes, il y a cette cohésion des forçats de la route. Partager les galères, les bons plans… Je ne cherche pas l’échange, je n’en ai pas besoin, cela fait aussi du bien, mais on ne s’entend pas forcément avec tout le monde, parfois ce ne sont que quelques mots, d’autres fois le courant passe mieux et c’est un bout de chemin, une tranche de vie. Je roule seul mais je croise d’autres personnes de temps en temps et ça me suffit. Je n’aime pas les contraintes, j’aime mon indépendance et j’ai peut-être moins une tête à me faire inviter, j’y suis habitué et d’une certaine manière ça m’arrange. Je suis social, poli, courtois, parfois avenant mais indépendant.

Et au final, elle donne quoi cette European Divide Trail ?

Donc sur ce mois j’ai avancé sur 4500 km, j’étais à plus de la moitié de la trace quand je l’ai quitté, mais je n’ai pas tout suivi. J’ai fait à peu près 3500 km sur le parcours, avec donc 1000 km soit hors parcours soit en train. Comme elle est présentée, sur la portion parcourue, l’itinéraire n’est pas très technique ni très physique, la vraie difficulté est vraiment mental, il y a des longueurs et des parties très monotones. Le tracé se veut sauvage et il l’est, les secteurs et les itinéraires touristiques sont évités, vous vous retrouvez seul.e dans la nature scandinave. Si vous cherchez du roulant sur des kilomètres sans divertissement, vous serez servis.

Et les ravitos ?

La partie Nord se distingue vraiment du reste par l’étalement des ravitaillements, il peut y avoir plus de 200 km entre deux villes et 120 km entre deux points de ravitaillement. Après Kirkenes, les 1000 premiers kilomètres il n’y a pas de magasin de vélo, pas de gare et un réseau de transport limité. Il faut être sûr de son équipement et anticiper les ravitaillements. A l’inverse, l’eau se trouve partout. Passé cette première partie, il est commun d’avoir entre 80 et 120 km entre les supérettes et cela tend à diminuer vers le sud de la Suède. A partir du Danemark, c’est le retour à la civilisation, les villes se rencontrent plus régulièrement. Je n’ai jamais eu plus d’une journée d’avance en nourriture avec moi, c’est gérable sans pépin mécanique.

Et pour dormir

Déjà en Scandinavie, le bivouac est autorisé partout, c’est le droit à la nature, il faut demander l’autorisation pour dormir sur un terrain privé à partir de la deuxième nuit. Ensuite dès qu’il y a de la civilisation, il y a des campings, et dans le Nord ils sont souvent fait pour les voyageurs. Ce sont moins des lotissements de mobil-homes que l’on rencontre de plus en plus. Les campings sont souvent aménagés avec des pièces plus ou moins isolées où il est possible de se faire à manger, un feu, voir plus avec salon et frigo. Plus on est dans le Nord plus les campings ont des saunas. Et les prix varient entre 10 et 30€ pour une nuit en tente avec vélo et sans électricité. La Suède est la plus chère à se niveau là. Il y a des refuges régulièrement dans les zones naturelles, ils sont gratuits et à débusquer sur carte, et bien sûr les shelters au Danemark.

Ce que j’ai aimé

  • La petite portion en Norvège, le bivouac au bout du monde (européen) au bord de la Mer de Barents avec le soleil de minuit, magique.
  • Le Danemark, grosse découverte pour moi, la côte de la Mer du Nord est magnifique.
  • Le parc National de Fulufjällets et sa cascade en Suède et le village de Sarna. Ce dernier est sur l’EDT mais pas le parc, c’est pas loin et ça change vraiment du reste.
  • La lande de Lunebourg en Allemagne, un paysage de collines et de landes à perte de vue.

Ce que j’ai moins aimé

  • La partie route en Finlande est lassante, en Laponie il n’y a pas d’autre choix si on ne veut pas un parcours trop technique.
  • Ensuite la forêt Suèdoise, c’est beau, mais à longue, c’est très monotone. Si j’avais fait la totalité du parcours, cela faisait 2500 km de forêt quasiment non-stop, soit deux semaines en rythme vacances, avec de la patience cela se fait, mais l’envie de changer et de visiter la capitale de la Laponie était trop grande.
  • En Suède toujours, il faut trouver des System Bolaget pour acheter des bières au dessus de 2,5° et sur la trace, il y en a pas beaucoup. Cela aurait pût aider à supporter les longueurs de forêt.

Si j’avais pu changer quelque chose.

  • Prendre la toile intérieure de la tente. J’avais le bivy avec moustiquaire, mais se retrouver bloquer à 19h dans son bivy à cause des moustiques, ça fait des longues soirées.
  • En gravel cela se fait très bien, j’étais en pneu de 2,25 (55 mm) et c’était pas le plus adapté. Les routes et pistes sont roulantes, il y a très peu de passages techniques, la plupart des cyclistes croisés sur l’EDT était en gravel.

Ce qui était nickel.

  • Le singlespeed n’était pas pénalisant, car j’avais prévu le ratio en fonction du terrain. Sur les dernières parties en Allemagne, il n’était plus adapté, si j’avais voulu continuer, il aurait fallu le changer.

Et dans l’autre sens ?

L’itinéraire a été fait du Nord vers le Sud mais pourquoi pas le faire dans l’autre sens, ce n’est pas déconnant, ce n’est pas tracé avec des montées/descentes différentes, donc rien ne s’y oppose. Surtout qu’ayant eu le vent de face pendant tout le trajet, j’aurais aimé le faire dans l’autre sens

Et au final ce mois seul à travers l’Europe du Nord.

Ce que j’en ai tiré de ce mois seul, finalement je me fais vite à la solitude, après quelques jours cela devient une habitude. Bien sûr je ne suis pas totalement seul, j’ai la famille qui me suis, les amis via les réseaux sociaux, je partage beaucoup, mais je remarque qu’à la longue, l’intérêt diminue, mon envie de partager également. Passé la nouveauté de la situation, le voyage devient le mode de vie, avec ses habitudes, ses routines. Ce voyage était un test pour moi de partir si loin, si longtemps et seul, je ne me suis pas entretué, c’est que tout va bien. Les rencontres sont importantes pour apporter de la saveur au voyage, mais se trouver soi-même est aussi important, cela permet de se recentrer, prendre le temps pour poser se poser les bonnes questions, chercher des solutions, ne pas forcément en trouver mais ce n’est pas très grave. Prendre le temps est un luxe que l’on ne s’accorde pas assez. Après c’était un voyage d’un mois, c’est long sans l’être, je ne suis pas non plus sur un tour du monde, petit à petit je vais y arriver, je ne sais pas ni quand ni comment, mais ça viendra. Ça devrait le faire, je me retrouve bien quand je suis seul, mon rythme vient naturellement, le rythme des épreuves est rapide cela va un temps, mais j’aime avant tout ma liberté, je n’ai pas besoin d’un temps limite, d’un itinéraire tracé à suivre, j’aime l’imprévu, changer, m’adapter. L’aventure c’est l’imprévu, la découverte, les galères, les solutions, je n’aurais que la découverte sur ce voyage, ce n’était pas une aventure, juste un voyage à vélo. Certains « explorateurs » contemporains sont suivis par une équipe média voir technique pour bien attester qu’ils sont des explorateurs, c’est rigolo et triste à la fois. Le sensationnel a remplacé l’exceptionnel, ce qui sort du quotidien est devenu l’aventure, on veut se payer de l’aventure clefs en main. L’aventure remplace le défi, car ce ne sont que des défis que nous nous lançons, que nous réalisons et puis nous passons à autre chose. En tant que géographe, je reste sensible aux sens des mots et j’y réfléchis beaucoup, j’ai été nourri des romans et des récits d’explorateurs, je n’ai pas l’impression que nous pouvons encore ne serait-ce qu’entrevoir ce qu’ils ont vécu, alors le vivre…

Rouler ou travailler ?

Un des fameux explorateurs contemporains, m’a dit une fois que je n’avais pas de courage, je ne l’ai pas pris comme un affront, plutôt comme une piste de réflexion. Peut-être qu’il a raison, peut-être pas, je ne sais pas, en tout cas je ne me sens pas différent d’un ou d’une autre, je ne fais rien d’exceptionnel, je suis un homme blanc en bonne santé vivant dans un pays favorisé, je fais ce que je fais parce que j’ai envie de le faire. J’avais envie de faire cette traversée, je me suis donné les moyens, c’était beau, ça m’a suffit, si je peux donner envie à d’autres, c’est encore mieux.

Et dans mon temps de réflexion, j’ai pu au moins éclaircir un point. Comme je l’ai dit, je fais des épreuves d’ultra depuis 6 ans et j’avoue que je me lasse de l’ultra en général et de l’ultra en gravel en particulier. Je vais pas m’étaler sur le gravel, pour faire court, c’est une coquille vide (en Europe) que chacun rempli à sa guise et on voit de tout passer, pas que du bon et même du moins en moins bon. C’est devenu trop flou pour moi pour définir vraiment quelque chose.

Pour le reste, je voulais profiter du temps que j’avais pour essayer de trouver une réponse au fait que je me lasse de l’ultra. Peut-être que je ne suis pas fait pour ça, j’ai apprécié les quelques courses que j’ai bien pu faire, j’en ai moins aimé d’autres surtout depuis 2020, est-ce lié au Covid ? À ma vision des choses qui a évolué depuis ? J’ai remis souvent le sujet en question pendant ce voyage. Une après-midi cherchant un coin pour faire une pause, j’avançai dans la forêt suédoise. Il n’y avait pas beaucoup de village jusqu’au sud de la Suède mais à chaque fois qu’il y avait quelques maisons, il y avait toujours une table, un banc, mais cet après-midi là, rien. L’heure du goûter avance et je cherche donc n’importe quoi, une souche, une petite butte, un talus pour ne pas m’asseoir par terre. Au détour d’une zone de coupe forestière franche, j’aperçois une souche à quelques mètres de la piste. Je vais m’y poser et là j’ai un sentiment de déjà-vu, c’est la révélation.

Je travaille la moitié de mon temps sur le terrain et surtout en forêt et il y a rarement de quoi se poser pour faire mes pauses en journée ou le midi. Je cherche donc toujours un petit truc pour me poser au sec et pas à terre. Je me suis donc rendu compte à ce moment là qu’il y avait une certaine analogie entre mon travail et l’ultra en bikepacking, au moins sur l’organisation des journées et la gestion d’un projet.

En cartographie, je travaille sur des projets qui représentent des kilomètres carrés, chaque jour je réalise une partie de la surface en fonction, du terrain, des aléas et de la forme physique. Les projets s’étalent sur plusieurs jours ou plusieurs semaines voire plusieurs mois, seul en forêt et en tout terrain, 8h par jour en toute saison, ce qui représente une certaine fatigue à gérer. Je sais bien que il y a pas mal de métiers qui sont prenants et/ou physiques, je partage surtout mon ressenti entre le travail et ma pratique cycliste. Après avoir passé des semaines à avancer chaque jour pour boucler une surface totale, je peux me prendre des vacances où je dois avancer chaque jour pour boucler une distance totale avec des problématiques techniques équivalentes, gestion de la bouffe, de l’eau, du physique, du psychologique (concentration vs détermination). D’où la lassitude que je ressens parfois à vélo et surtout le sentiment de saturation. Dans mon temps libre, si je fais quelques chose qui me fait du bien, je suis sensé prendre du plaisir, et bien ce n’est plus si évident, d’où mon interrogation, rouler ou travailler ?

N’ayant ni financeur, ni argent magique, il m’est indispensable de travailler, j’ai réussi à gérer mes dépenses et mon boulot pour dégager du temps libre pour profiter, mais si je ne prends pas de plaisir sur ce temps libre, c’est qu’il y a un problème. Que faire ? Je ne peux pas travailler moins, ce serait au détriment des mes ressources, donc moins de confort, sachant que j’ai déjà pousser au minimum. Je pense que réduire les distances, ne pas me fixer d’objectif, prendre du temps pour profiter est une bonne solution. Je ne m’intéresse plus aux épreuves, c’est devenu la foire au pigeon, je n’aime pas me faire plumer et surtout je n’ai rien à prouver, ni à moi ni aux autres. J’ai fait mon temps, j’ai envie aujourd’hui de toujours rouler, marcher, courir, nager… mais sans devoir mettre en jeu ma santé physique et mentale. Le plaisir avant tout, sortir des sentiers battus, des itinéraires tracés et profiter, d’un lieu, d’une vue, d’une rencontre, de la gastronomie, c’est un bon programme, ça me va.

Au final, avoir du temps pour réfléchir c’est bien mais pas forcément suffisant, il faut aussi pouvoir prendre du recul et aborder les choses d’un autre angle. J’ai retenté de me lancer dans des tracés de longue distance depuis, le premier, VTT, m’a plu, le deuxième était plus cadré et gravel et j’ai vite saturé, je pensais me changer les idées en sortant d’une grosse période de terrain, j’ai fait tout l’inverse et à l’instant où j’ai lâché l’affaire, cela s’est tout de suite mieux passé. Voilà, les envies changent, hier elles étaient différentes, demain elles le seront aussi, mais aujourd’hui ma position est celle-là, à cause d’une souche, ou grâce à elle.

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